Ce qu'il y a de
remarquable et donc de fondamentalement indispensable lorsque l'on se
lance dans une œuvre cinématographique est de percevoir l'angle
sous lequel son auteur l'a envisagé. D'autres pourtant nous poussent
vers une voie bien différente. Une fois absorbée la contemplation,
il faut parfois bien admettre que le spectateur est LE chaînons
manquant qui complète parmi les projets les plus inattendus, ce qui
d'apparence peut en quelques occasions paraître comme inabouti. Ces
vides qu'il faut absolument remplir, en construisant
intellectuellement et au fil du récit, de détails qu'ont
volontairement omis d'intégrer ou d'annoter scénaristes et
réalisateurs. Atypique jusqu'à devenir parfois inconfortable,
l'univers de Claire Denis s'étendait en 2018 au delà des seules
frontières terrestres pour emporter avec elle, protagonistes et
spectateurs jusqu'aux confins de l'univers. Là où tout semble
possible. Où la mort veille semble-t-il à emporter tous ceux qui
s'y risquent mais où il n'est peut-être pas inimaginable de penser
qu'un ailleurs existe. Nous conter un récit aussi extraordinairement
ambitieux et le faire à bord d'un vaisseau qui a tout l'air d'avoir
été construit pour les besoins d'un bon gros nanar transalpin des
années quatre-vingt est en soit, un acte aussi insensé que
d'envoyer à des milliards de kilomètres de notre planète, des
repris de justice pour aller vérifier ce qu'il peut se cacher de
l'autre côté d'un trou noir. En somme, la première pierre à elle
seule fascinante d'un projet de science-fiction qui ne se bornera pas
à suivre le chemin ultra balisé du genre. Et pourtant, l'entrée en
matière plongera certainement une partie du public dans un état de
somnolence quasi immédiat. Supportant avec aussi peu de patience que
le héros incarné par Robert Pattinson ce rejeton braillant sans
interruption, les divagations ''monolinguales'' du héros risquent
tour d'abord d'exaspérer avant que ne surviennent enfin de leur
vivant, ces compagnons apparemment raides morts qu'il vient tout
juste d'envoyer faire un voyage dans l'espace. Car High Life de
Claire Denis est essentiellement construit sous forme de flash-back.
Un confinement regroupant donc une dizaine d' hommes et de femmes
condamnés à de lourdes peines de prison et qui ont fait le choix de
participer à une expérience qu'ils savent suicidaire : approcher un
trou noir et plonger en son cœur. Pris dans la tourmente d'une
expédition sans espoir de retour, la tension monte entre les uns et
les autres. D'autant plus que les hommes s'accordent pour faire don
de leur sperme tandis que les femmes acceptent d'être fécondées.
Sous le prisme de l'hypocrite recherche scientifique, le film condamne d'anciens taulards à une inévitable condamnation à mort...
Et tout ceci sous l'égide
du docteur Dibs qu'interprète l'actrice française Juliette Binoche
dont le sex-appeal n'a jamais été aussi puissant tout en étant
franchement inquiétant, voire même dérangeant. De ce voyage aux
implications scientifiques, conquérantes et biologiques, Claire
Denis élabore une sorte de Trip spatial absolument démentiel,
ponctué de quelques visions dantesques (la salle de baise),
construisant son œuvre autour de l'âme humaine, de sa capacité à
se surpasser et des dérives qu'impose ce moment très précis où la
résistance chimiquement morale de l'esprit humain succombe devant
une trop forte pression. L'espace, immense étendue, figurant en un
instant précis le placenta et le liquide amniotique. Avant toute
chose et surtout celle de se lancer dans l'aventure High Life,
il faut comprendre que le long-métrage de Claire Denis, ça n'est ni
Star Wars
ni même Star Trek
dont l'approche nettement plus profonde et intellectuelle que l’œuvre
de George Lucas est déjà un prétexte pour rebuter les amateurs de
blockubusters de science-fiction (chose qui est pourtant
malheureusement non avérée au sein de la dernière trinité de
films qui furent tournés entre 2009 et 2015). Ici, la française
aborde le passionnant mystère qui entoure les trous noirs en mode
''film d'auteur''. Avec tout ce que le concept peut avoir de
rebutant. Un rythme lent, voire pesant, que l'ancienne assistante de
Robert Enrico, de Jacques Rivette et fan de Jim Jarmusch et de Wim
Wenders saupoudre fort heureusement de fulgurances presque
inattendues. L'intrigue semble parfois se complaire dans une
outrancière accumulation de propos tournant autour du sexe. Des
actes qui nourrissent cependant le récit et fonctionnent comme une
épidémie de désirs irrépressibles dont le patient zéro serait le
docteur Dibs que la réalisatrice et les scénaristes Jean-Pol
Fargeau et Geoff Cox décrivent comme porteuse d'un ''sexe
en plastique''.
Comprendre que cette femme hautement désirable n'aurait au fond
d'humain que le désir de procréation par procuration. Décors et
photographies participent de l'étrangeté et de l'inconfort du
récit. Tout comme la partition musicale du musicien britannique
Stuart A. Staples, chanteur du groupe Tindersticks.
Autant prévenir celles et ceux qui voudraient que Claire Denis leur
apporte une réponse s'agissant du phénomène des trous noir. La
réalisatrice préfère cependant abandonner le spectateur à
l'expectative lors d'un final laissant l'ultime question en suspens.
Au delà de cette seule interrogation, High Life
est une œuvre puissamment évocatrice, hypnotique et fulgurante.
Sans doute l'une des meilleures propositions de science-fiction à la
française pour une coproduction
franco-germano-anglo-américano-polonaise...
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