Sujet Ô combien fascinant que le voyage dans le temps ainsi que tout
ce qui y est rattaché, comme les paradoxes et les boucles
temporelles, le réalisateur japonais Junta Yamaguchi a signé pour
son premier long-métrage en 2020 l'une des œuvres de
science-fiction parmi les plus incroyables, improbables mais surtout
techniquement et scénaristiquement les plus abouties. Imaginez que
vous travailliez dans un restaurant rattaché à un immeuble de
plusieurs étages et qu'un téléviseur installé au cinquième étage
diffuse des images vieilles de deux minutes seulement. Jusqu'ici,
rien de forcément stupéfiant. Du moins jusqu'à ce que le locataire
de l'appartement se rende compte qu'il peut communiquer en direct
avec l'image de son double projetée à l'écran. On devine alors
très rapidement la suite des événements. Du moins ceux qui se
produiront lors des deux minutes à venir. Sachant que le jeune homme
témoin de cet événement extraordinaire vient de se voir agir deux
minutes dans le futur, celui-ci quitte son appartement afin de se
rendre au restaurant pour se placer ''à son tour'' devant l'écran
posté dans la salle de restauration et d'y tenir les mêmes propos
que son double deux minutes plus tôt. Face à ce même écran, le
voici désormais confronté à un autre double dont l'image le
projette deux minutes dans le passé. Lors de cette séquence, le
jeune homme tient les propos de son premier double tandis que le
second tient ceux que lui-même tenait il y a deux minutes. Si rien
ne paraît vraiment très clair, que l'on se rassure, le concept est
en réalité plus simple qu'il n'en a l'air. D'autant plus que
jusqu'à ce moment très précis, un seul personnage interagit avec
ce phénomène de boucle temporelle jusqu'à ce qu'intervienne une
employée du restaurant. On sent que là, les choses vont se corser.
Car stupéfait par ce qu'il vient de vivre, le jeune homme va
partager son expérience non seulement avec la jeune femme mais
également avec plusieurs autres personnages qui petit à petit vont
venir se greffer au récit.
Autant dire que Dorosute no Hate de Bokura plus connu
en Occident sous le titre Beyond the Infinite two Minutes va
très rapidement donner le vertige au spectateur. Quitter la pièce
ne serait-ce qu'une ou deux minutes n'engendrera pourtant pas
forcément une quelconque gène puisque malgré sa courte durée de
soixante-dix minutes, l'un des seuls défauts du long-métrage est sa
redondance. On pourra donc rattraper l'une d'entre elles avec la
suivante. L'un des aspects les plus remarquables de Dorosute
no Hate de Bokura est par contre le fait que Junta Yamaguchi
ait tourné son film en un seul plan-séquence. Un procédé qui
devient de plus en plus courant mais qui au sujet de cette comédie
de science-fiction pourrait paraître totalement irréalisable. Vue
la complexité du scénario qui sur papier semble relativement simple
mais qui une fois la caméra en main (en fait, un smartphone) va
demander au réalisateur et à ses interprètes une très grande
minutie, il faudra à toute l'équipe, au delà du simple concept de
plan-séquence, penser à tout ce supplément de scènes à filmer
afin de projeter au cœur du récit ces images de personnages
doubles, triples, quadruplés, etc... qui interviendront à travers
l'écran de téléviseurs projetant des images du futur et du passé.
Si l'on sent bien que d'un point de vue scénaristique le film
faiblit quelque peu lors du dernier quart-d'heure, Dorosute no
Hate de Bokura demeure une véritable prouesse technique. À
moins d'être physicien, il est quasiment impossible d'analyser la
construction du récit dans son intégralité dans l'espoir d'y
dénicher une quelconque incohérence. Même si parfois l'on se
demande pourquoi tel ou tel personnage ne contrarie pas le futur
auquel il vient d'assister en choisissant de donner une tournure
différente aux événements qui se produiront lors des deux
prochaines minutes à venir, certains d'entre eux privilégieront de
s'en tenir aux images qu'ils viennent de voir afin de les reproduire
et ainsi éviter tout paradoxe temporel. Bref, que l'on croit à la
possibilité d'un tel phénomène, Dorosute no Hate de Bokura
n'en demeure pas moins une œuvre cohérente et vertigineuse...