Comme me le faisait
remarquer ma compagne au démarrage de la projection de Pendant
ce temps sur Terre
de Jérémy Clapin, lorsque notre beau pays s'engage dans ce type
d'expérience cinématographique, on peut parfois s'attendre au pire.
C'est vrai. Mais il arrive également que l'on soit très
agréablement surpris. La science-fiction à la française semble
avoir encore de beaux jours devant elle à la seule condition que le
public soit en mesure de lui accorder toute l'attention qu'elle
mérite. Pendant ce temps sur Terre
risque de causer une scission entre les amateurs de blockbusters et
ceux qui aiment à fourrager dans des espaces jusqu'ici inexplorés
et dont le but premier est moins de remplir les coffres des
producteurs que de narrer un récit où sont conviés le beau et le
sensible. Ici, le spectacle ne revêt jamais l'habituel apparat qu'on
lui connaît lorsqu'il s'agit de nous conter le récit d'une aventure
spatiale à bord d'un vaisseau et en compagnie de son équipage.
Presque tout semble être dit lorsqu'en entame l'on comprends que le
frère d'Elsa, jeune femme de vingt-trois ans incarnée à l'écran
par l'actrice franco-britannique Megan Northam, a disparu au court
d'une mission dans l'espace. Un drame qui pose d'emblée les bases
d'une réflexion s'agissant des sacrifices auxquels l'on serait prêts
à se risquer pour revoir un membre de sa famille décédé. C'est là
tout l'enjeu d'une œuvre qui en outre renouvelle l'une des plus
remarquables traditions en matière de science-fiction : le
Body-Snatching.
Une pratique ayant un très lointain rapport avec une pratique bien
terrienne consistant à dérober des cadavres afin d'en faire
bénéficier certaines écoles de médecine mais dont le sens diverge
quelque peu lorsque l'on évoque la thématique de l'invasion
extraterrestre.
Parmi
tant d'autres, L'invasion des profanateurs de
sépultures de
Don Siegel et ses remakes (dont le meilleur d'entre tous, L'invasion
des profanateurs
de Philip Kaufman), The Thing
de John Carpenter (qui fut lui-même le remake de La
chose d'un autre monde
de Christian Nyby et l'adaptation du roman Who
Goes There ?
de John W. Campbell) le très divertissant The
Faculty
de Robert Rodriguez ou le troublant Under the
Skin de
Jonathan Glazer ont tous d'une manière ou d'une autre participé à
cette inquiétante mésaventure consistant en l'appropriation d'un
corps humain bien vivant au profit d'une entité extraterrestre
visant à prendre sa place afin de se fondre discrètement dans la
masse et ainsi envahir notre planète en toute discrétion. Lorsque
l'on apprend que le concept fut à l'origine de dizaines d’œuvres
cinématographique, le premier réflexe voudrait que l'on se demande
où se situe l'intérêt d'en rajouter une couche à une thématique
qui semble avoir déjà été étudiée sous toutes les coutures. En
forme de cours magistral lors duquel il étudie et élude la
question, Jérémy Clapin répond à ses éventuels détracteurs en
signant une œuvre véritablement envoûtante. L'on ne reprochera pas
à sa principale interprète son incarnation, laquelle s'avère
irréprochable. Megan Northam porte effectivement la quasi totalité
du récit sur ses épaules. Quasi puisque à côté de sa très
sensible performance l'on a droit à une mise en scène sobre mais
très majoritairement ponctuée de séquences qui nous happent.
Le
minimalisme avec lequel le réalisateur réalise chaque plan est
contrebalancé par une quiétude troublée par une bande-son
addictive. Laquelle, signée du compositeur Dan Levy, œuvre pour
beaucoup dans cette impression de flottement qui se dégage du
long-métrage et qui laisse une étrange impression d'égarement chez
le spectateur. Poétique, Pendant ce temps sur
Terre
l'est également. Avec ses quelques incursions dans le domaine de
l'animation, cette dernière, loin d'être ridicule ou de créer une
distanciation avec l'univers décrit jusqu'ici, est un moyen
d'évoquer l'intime relation de l'héroïne avec son frère désormais
disparu dans l'espace autrement qu'à travers la seule voix-off de ce
dernier (l'acteur Dimitri Doré). Ersatz de l'art auquel se consacra
tout d'abord le réalisateur (comme en témoigne son premier
long-métrage tout en animation, J'ai perdu mon
corps
en 2019), ces quelques trop rares séquences révèlent une
sensibilité que l'on imaginait mal pouvoir être révélée à
travers des dessins mais qui réellement ajoutent une profondeur déjà
bien présente au sein du récit. Bref, on sort de la projection
subjugué par le talent avec lequel Jérémy Clapin est parvenu à
nous happer avec cette histoire sobrement mise en scène et
superbement interprétée par Megan Northam...
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