Il
y a des cinéastes nés. Après seulement un long-métrage à son
actif, la réalisatrice et scénariste franco-marocaine Sofia Alaoui
semble avoir mis une bonne partie de la presse spécialisée
d'accord. Sorti sur les écrans l'an passé le 9 août 2023,
Animalia
fait partie de ces œuvres rares qui ne peuvent laisser indifférent.
Du moins lui accorderons-nous une certaine exigence. Il se peut même
qu'une seconde projection, voire une troisième, soient nécessaire
pour saisir toute la portée philosophico-religieuse de ce récit qui
parle de Dieu, des hommes et théoriquement d'individus qui
proviendraient d'ailleurs. C'est du moins ainsi que je saisissais le
message une fois l'histoire achevée. Porté par la formidable et
délicieuse Oumaima Barid qui avant cela interpréta le rôle de
Fatima dans La vie me va bien d'Al
Hadi Ulad-Mohand il y a trois ans, Animalia est
une espèce d’énigme dans le fond et dans la forme. En filmant
d'abord l'intérieur d'une riche famille marocaine et en poursuivant
l'aventure au cœur de paysages d'une sidérante beauté, le
long-métrage évoque ce que l'homme bâtit de ses propres mains face
la création de Dieu. L'un et l'autre se rejoignent et fondent un
univers d'une majestueuse beauté à laquelle le film de Sofia Alaoui
ajoute un talent indéniable pour le cadrage, les éclairages et les
environnements. La photographie de Noé Bach met en lumière un Maroc
aux richesses multiples. Un pays qui tout comme à l'échelle de
notre planète est en proie à un événement extraordinaire. Plutôt
que de traiter le récit sous l'angle exclusif d'une hypothétique
fin du monde annoncée où les peuples sont concentrés dans des
lieux sécurisés par l'armée, dans le cas de Animalia,
les croyances de tout un peuple sont reléguées par les médias et
les Mosquées deviennent ainsi les seuls lieux de refuge aptes à
protéger la population. Notons également la présence de quelques
animaux qui dans le Coran sont cités non pas en tant que catégories
mais en tant qu'espèces et même plus à proprement parler, en tant
qu'individus.
C'est
ainsi que sont représentés à l'écran la fourmi, la huppe ou
diverses catégories de chiens. Certains s'agitent telle l'annonce
d'un événement d'ampleur cataclysmique quand d'autres apparaissent
comme une forme d'alerte entrant directement en contact avec certains
habitants de la région. Au cœur de ce récit où se mêlent drame
et science-fiction, Itto (Oumaïma Barid) illumine le récit. La
fragilité de son personnage liée à la naissance toute prochaine de
l'enfant qu'elle porte souligne le danger auquel elle va être
confrontée. Cet univers majoritairement masculin, soupçonneux, où
le statut de la femme demeure précaire quelle que soit la situation,
même dans ce lieu de culte où rejoindre son époux se transforme en
périple. Cultivant une certaine ambiguïté quant aux origines de
celui qu'il est interdit de représenter, Sofia Alaoui ose décrire
l'impensable en lui offrant une identité visuelle à travers ces
entités qui semblent se cacher derrière cette brume fantastique qui
s'élève dans le ciel et à laquelle notre héroïne finira par se
raccrocher lors d'une séquence absolument bouleversante. Derrière
la beauté des paysages, la dureté de certains regards, la folie qui
s'empare de ce vieux fou persuadé que ses bêtes sont possédées,
ces réunions nocturnes et canines, la vision déconcertante et
vertigineuse qui guide l'héroïne mais aussi ces deux compagnons de
routes qui accompagnent un temps la jeune femme, Animalia
conditionne
le spectateur et l'invite à un voyage inhabituel dans des espaces
d'une remarquable beauté ou dans de minuscules bourgades anxiogènes
où la place de la femme est ainsi décrite comme l'occidental
l'imagine en général. Bref, avec son premier long-métrage qui en
outre remporta le prix du jury au festival de Sundance, Sofia Alaoui
nous terrasse, nous éblouie, nous subjugue. Quant à sa principale
interprète, nous lui souhaitons une belle et longue carrière au
cinéma...