Alors oui, la série
créée par Charlie Brooke, Black Mirror fut
il y a quelques années porteuse de mauvaises nouvelles au sujet des
dérives de l'Intelligence Artificielle. Mais il ne faudrait pas
oublier que les dystopies qu'y décrivaient son créateur, les
différents réalisateurs ainsi que les scénaristes ne reposèrent
pas toutes sur des concepts totalement innovants. De 2001,
l'odyssée de l'espace
de Stanley Kubrick en passant par Mondwest de
Michael Crichton en jusqu'aux récents M3GAN
de Gerard Johnston et T.I.M
de Spencer Brown, nombreuses furent les œuvres à mettre en scène
des technologies avancées prenant le pas sur ceux qui étaient à
l'origine de leur conception. Il ne suffit donc pas de citer Black
Mirror
pour se faire une idée de ce que recèle Cassandra,
cette nouvelle série germanique qui après Dark
de Baran bo Odar et Jantje Friese confirme que l'Allemagne est en
bonne position dans le domaine de la science-fiction à l'échelle
internationale (contrairement à la France qui parfois ose proposer
comme alternatives, des daubes de l'ampleur de L'homme
parfait
de Xavier Durringer). Ici, il n'est plus question d'évoquer le
voyage dans le temps mais l'implication de la domotique et de la
robotique dans le foyer d'une famille qui essaie de se reconstruire
après un drame épouvantable. David et Samira Prill ainsi que leurs
deux enfants Fynn et Juno s'installent dans leur nouvelle demeure.
Une habitation que l'on doit à l'origine à l’architecte
autrichien Richard Joseph Neutra, concepteur de la Kemper
House
qui sert donc en partie au récit. En partie, oui, car le réalisateur
allemand Benjamin Gutsche n'a pu profiter que des extérieurs de la
bâtisse tandis que les origines des intérieurs demeurent
apparemment encore un mystère. Un ''secret'' qui alimente ce que
d'aucun de celles et ceux qui ont déjà découvert la série peuvent
considérer d'environnement très intrigant même si l'on imagine que
l'équipe chargée de donner aux intérieurs une patine
rétro-futuriste y sont pour beaucoup dans l'étrangeté de cet
univers domestique. Entre ces écrans de télévision qui semblent se
référer à de vieux postes à tubes cathodiques, cet ascenseur dont
la manifeste présence est encore (selon moi) à l'étude ou cette
pièce très curieuse dont l'élaboration semble avoir comme
principale source d'inspiration certains décors et objets du Shining
de Stanley Kubrick, nul doute que la demeure des Prill est un
personnage à part entière.
Mais
plus encore que l'anxiété que génère cet environnement, c'est
bien la présence de Cassandra, interprétée par l'excellente
Lavinia Wilson, qui va être au centre de toutes les inquiétudes.
Alors que David et sa famille s'installent dans une demeure qui
depuis cinquante ans est demeurée à l'abandon, c'est en explorant
les différentes pièces qui la composent qu'ils découvrent un vieux
modèle de robot dont le fonctionnement fut interrompu à la suite du
décès des précédents propriétaires de la maison. La
particularité de cette machine que les Pritt vont choisir de
remettre en marche est qu'elle est directement raccordée à tout un
ensemble de systèmes électroniques tous reliés entre eux.
Cassandra semble donc être le ''cerveau'' du réseau qu'elle peut à
loisir contrôler à distance. Sans être affreusement décevants,
les débuts de cette mini-série en six épisodes laissent
l'impression que l'on est face à une énième proposition de
science-fiction dystopique au centre de laquelle un ou plusieurs
individus vont être confrontés à un robot domestique défaillant.
Et d'une certaine manière, il s'agit effectivement de cela. Mais là
où le créateur de Cassandra
a réussit le pari d'oser assumer un concept finalement presque vieux
comme le monde puisque déjà abordé à maintes reprises, c'est sans
doute en amenant son idée vers une voie retravaillée en profondeur.
Je m'explique : ici, il ne s'agit pas tant d'opposer une mère
de famille (Mina Tander dans le rôle de Samira Prill) à une machine
dont l'inquiétant comportement serait simplement causé par des
dysfonctionnements mais d'offrir à cette dernière l'occasion de
montrer aux spectateurs qu'elle est peut-être plus que cette boite
de conserve comme elle est parfois surnommée. Et donc, davantage
qu'un programme informatique à l'origine uniquement disposé à
accomplir des tâches prédéfinies. Alors que la série tourne tout
d'abord presque exclusivement autour des membres de la famille Prill
(complétée par les acteurs, Michael Klammer, Joshua Kantara et la
jeune Mary Tölle), Cassandra prend
un virage inédit en plongeant de nouveaux personnages cinquante ans
plus tôt. La famille qui justement, un demi-siècle en arrière fut
celle qui vécut dans cette même demeure. Sont ainsi introduits les
trois membres de la famille Schmitt. Une famille totalement
dysfonctionnelle. Le récit est donc partagé entre les événements
présents et ceux du passé et Cassandra
mue alors pour passer de la stricte dystopie horrifique au drame
familial et au thriller !
Benjamin
Gutsche signe avec cette nouvelle série, une véritable réussite où
le rétro-futurisme des décors côtoie un scénario qui brasse dans
un univers de science-fiction, des idées neuves et d'autres qui le
sont déjà beaucoup moins (le thème de l'homosexualité non assumée
par exemple). En intégrant les personnages incarnés par Franz
Hartwig et par Elias Grünthal mais également pour la seconde fois
l'actrice Lavinia Wilson, le réalisateur donne du sens à toute une
série d'événements qui se produisent dans le présent et au point
de vue de Cassandra, laquelle agît en conséquence comme le ferait
une mère un peu trop... protectrice. La série aurait pu être
absolument parfaite si seulement quelques éléments n'étaient pas
venus défaire un système d'écriture mettant tout en œuvre pour
que le récit ne souffre d'aucunes invraisemblances. Mais à vouloir
en faire trop et à préférer parfois donner dans le
''spectaculaire'' plutôt que dans la sobriété et le réalisme,
Benjamin Gutsche finit par multiplier les faux pas. Si l'emprise de
Cassandra sur la jeune Juno justifie le fait que ses parents
acceptent de laisser ''allumée'' la machine (la gamine ayant besoin
de se reconstruire, sa nouvelle ''amie'' pourrait l'y aider selon
eux), lorsque cette dernière commence à révéler sa véritable
nature et fait montre d'une attitude très inquiétante, n'importe
qui de censé aurait pris la décision de couper court à ses
agissements. Heureusement, Samira est là pour veiller sur les siens.
Mais pour combien de temps puisque son époux commence à voir surgir
chez elle des problèmes psychologiques qui pourraient expliquer la
situation ? Si la paranoïa supposée de la mère et l'absence
de soutien de David sont plutôt bien menés et si toute la partie
qui se déroule cinquante ans en arrière est véritablement
bouleversante (bien qu'un peu caricaturale à force d'enfoncer le
couteau bien profond dans le dos d'une femme et de son enfant
confrontés à un mari et un père absolument monstrueux), le dernier
épisode termine d'envoyer la série dans les pires travers du genre.
Je n'en dirai pas davantage pour ne pas spolier la fin du récit et
malgré certains défauts qui pourraient s'avérer rédhibitoires, il
n'en est pas moins certain que Cassandra
est une brillante réussite. Anxiogène et poignante, la série
aurait, sans ses quelques absurdes excès, mérité le titre de l'une
des plus remarquable dystopies de ces dernières années...