On a droit de s'y être
ennuyé. De n'y avoir pas saisi certaines subtilités. D'y avoir été
totalement réfractaire. Ou de ne ne pas aimer tout simplement la
science-fiction dramatico-intimiste... Mais de là à dire que Aporia
est
mauvais, mince... Quel manque d'appréciation. Alors, bien sûr, le
long-métrage de Jared Moshé ne fait pas partie de cette catégorie
de longs-métrages grandiloquents, gavés d'effets-spéciaux
numériques qui en mettent plein la vue mais apportent si peu en
terme de réflexion. En la matière, il est vrai, le simple fait que
le réalisateur et scénariste se soit contenté du minimum pour
décrire le concept de cette machine conçue par deux amis risque
d'en faire tiquer certains. Dont je fis partie au préalable avant de
rapidement réajuster mon opinion. À vrai dire, mieux vaut comme ici
n'en point trop dire sur le fonctionnement de la dite machine que de
perdre le spectateur lors de théories dont la complexité est telle
qu'il est pratiquement impossible de tenir au-delà des dix premières
minutes. Je pense notamment au Primer
de Shane Carruth, si hermétique dans ses explications techniques que
le néophyte n'a aucune chance de deviner le sens réel des propos
qui y sont tenus ! Aporia
aurait pu causer des dommages collatéraux aussi importants que lors
de la projection de Primer
s'il n'avait pas eu la clairvoyance de n'entamer qu'une toute petite
partie du récit pour nous expliquer les intentions de Jabir Karim
(l'acteur Pauman Maadi). Sophie Rice (Judy Greer) est veuve depuis
huit mois. Vivant désormais seule avec sa fille Riley (Faithe
Herman), la jeune femme surmonte difficilement la mort de Malcolm
(Edi Gathegi) et doit également surmonter certaines difficultés.
Comme celles qui concernent Riley, laquelle est à l'école, beaucoup
moins assidue qu'à l'époque où son père était encore en vie.
Devant la détresse de Sophie, Jabir révèle un secret que seul
Malcolm est lui partageaient jusqu'à maintenant. Les deux hommes
travaillèrent ensemble durant trois ans sur une machine qui pour
faire court devait être capable de modifier le cours du temps en
changeant le passé. Une drôle de machine, d'ailleurs, visuellement
plus proche de ces étranges sculptures que l'on découvre parfois
dans des jardins et créées par des artistes à partir d'objets de
récupération.
Du
métal, des câbles à foison, un très vieil écran d'ordinateur
relié à un portable et un réseau électrique très peu fiable.
Voilà sur quoi compte Jabir pour rendre à Sophie ce qu'elle a perdu
de plus cher : Malcolm ! Très technique dans sa
description du fonctionnement de la machine, le réalisateur à en
revanche l'excellente idée de ne pas trop s’appesantir sur le
sujet. Évidemment, la machine fonctionne et quelques instants plus
tard, Sophie reçoit un appel de Malcolm qui l'attend avec leur fille
dans un parc pas très loin de là. Une fois son époux ''revenu à
la vie'', c'est là que les choses se compliquent. D'une part, pour
les personnages. Et d'autre part, pour le spectateur qui aura, même
sans rien y connaître au sujet de la mécanique quantique, quelques
réserves à faire concernant certains aspect de ce que l'on nomme
les paradoxes temporels... Pour Sophie et Jabir, rien de plus évident
que de sacrifier dans le passé la vie du chauffard qui coûta celle
de Malcolm. La mort du premier signera le retour du second. Mais
alors, que fait-on de ce concept qui veut que toute modification du
passé en engendre davantage dans le présent ? C'est d'abord là
que se joue toute la subtilité de Aporia
qui contrairement à la concurrence fait dans la sobriété. De
petits détails qui laissent transparaître de réelles modifications
au cours des huit derniers mois dans l'existence des Rice. Mieux,
Jared Moshé imagine produire des conséquences bien plus larges se
répercutant sur l'ex-épouse du chauffard qui renversa Malcolm et
causa son décès. Pour le spectateur se pose maintenant la
question : si l'expérience menée par Jabir et Sophie a eu des
conséquences pour l'instant relativement minimes sur la vie de la
jeune femme, certains éléments du récit nous font tiquer. Pourquoi
les deux amis sont-ils les seuls à garder le souvenir des huit
derniers mois tandis que la mémoire de leur entourage semble avoir
été modifiée depuis le retour de Malcolm ? En toute logique,
c'est tout ou rien. De ce fait, pourquoi la mère a gardé en mémoire
la mort de son époux tandis que leur fille, elle, n'en a plus le
moindre souvenir ? Des questions comme celle-ci, le spectateur
aura l'occasion de s'en poser régulièrement. Mais au-delà de cette
interrogation (et d'une énorme invraisemblance lors du dernier quart
qui aurait pu faire tout s'effondrer et que le réalisateur ne se
donne même pas la peine de justifier), le film est bourré de bonnes
idées où la morale tient une place importante. Sans effets
superflus, sobre et concis, Aporia
mérite donc mieux que l'accueil glacial que certains lui ont
réservé...