S'il n'a pas été le
tout premier film parlant, La fin du monde
d'Abel Gance n'est sorti que deux ans après Le
chanteur de Jazz
d'Alan Crosland. Première œuvre à faire entendre le son d'une
voix, ce sont moins les personnages qui s'y exprimèrent clairement
que celle ouïe durant les intertitres. Long-métrage de
science-fiction mêlant romance, drame et catastrophe, La
fin du monde
est plus à proprement parler une œuvre d'anticipation. Abel Gance
traite de son sujet à travers le portraits de personnages liés pour
partie à la même femme. Geneviève de Murcie (Colette Darfeuil) est
profondément attachée à Jean Novalic qu'incarne lui-même le
réalisateur. Un homme fort amoureux de la belle mais qui selon sa
condition sociale choisit de libérer sa place dans le cœur de la
jeune femme au profit de son frère Martial (Victor Francen). Un
astronome qui en consultant la nuit étoilée à travers un télescope
géant situé dans un observatoire découvre qu'une comète se dirige
tout droit vers notre planète. Selon ses calcules, le bolide
s'écrasera sur Terre dans plusieurs mois. Tenue secrète jusqu'à
maintenant, Martial se décide finalement à révéler sa découverte.
Et ce, en partie pour nuire à un certain Schomburg. Homme de peu de
morale, agrippé à l'idée de mettre Geneviève ''à son menu'',
l'homme la viole lors d'un rendez-vous. Réfugiée chez son oncle,
celui-ci lui conseille d'épouser Schomburg afin d'éviter tout
scandale. Pendant ce temps, Jean intervient lors d'une dispute entre
un père et sa fille. Gravement blessé et étendu sur le sol, Jean
est aidé par un médecin (l'acteur Major Heitner) qui va le soigner.
Pourtant, si physiquement le jeune homme parvient à se remettre de
ses blessures, le docteur ne donne pas cher de son état mental... La
fin du monde s'ouvrant
sur la crucifixion du Christ, opère un astucieux travelling arrière
qui fait état non pas d'une scène se déroulant en temps réel au
moment ou Jésus fut crucifié mais bien d'une reconstitution de
l'événement se situant sur les planches d'un théâtre !
Revenu de cette scène un peu longuette, Abel Gance plonge son
personnage et tous ceux qui orbitent autour de lui dans un contexte
où tout ou partie de la vie sur Terre doit s'éteindre.
Mais
loin de justifier la thématique à travers le regard exclusif de ses
protagonistes, le réalisateur développe la crise existentielle qui
les enrobera bientôt, eux et le reste des habitants de notre
planète. Créant ainsi l'idée d'une République Universelle formée
autour de lois nouvelles auxquelles vont adhérer l'ensemble des
nations. D'ici là, l'on assiste à la lente agonie de Jean, perdant
peu à peu la tête tandis que Geneviève cherche désespérément le
moyen de s'en rapprocher. Le personnage de Schomburg est foncièrement
tyrannique, méprisant, au dessus des lois. L'apparat du riche homme
d'affaires à qui rien ne résiste. L'entrée en bourse de Martial
devenant ainsi le moyen le plus évident de défaire l'homme de son
piédestal ! Œuvre éminemment ambitieuse dont on a pourtant du
mal à envisager la portée qu'elle aurait pu ou dû avoir sur les
spectateurs sachant qu'elle fut terriblement amputée (le film devait
à l'origine durer plus de trois heures), La fin
du monde
explore avant les autres l'étude du comportementalisme chez l'homme
et la femme face à une catastrophe d'ampleur mondiale à laquelle
ils ont malheureusement peu de chance de survivre. Poétique et
théâtrale, le romantisme chez Abel Gance est ici déployé sous une
forme qui de nos jours paraît tout à fait surannée. La langue
française prenant ainsi sa plus belle forme, entre déclarations
d'amour enflammées et tragédie épicurienne dont les pires travers
de la nature humaine s'exprimeront à intervalles réguliers. Lors de
cette séquence de rue où Jean subit la foule alors même qu'il
devrait être élevé au rang de héros. Une scène qui fait
curieusement, mais dans une moindre mesure, écho au chemin de croix
du Christ. Puis intervient ce dernier quart d'heure, témoignant
justement de l'ambition d'Abel Gance. Cette profusion d'images
provenant de diverses régions de la planète, jusqu'à la capitale
française où les nantis se laissent aller à la luxure et la
dépravation, entre débauche sexuelle et orgies de nourriture,
tandis que dans les rues la panique s'empare des gens de petite
condition. On rêve alors d'une version intégrale, sans doute perdue
à jamais, et qui aurait probablement évité au long-métrage d'être
accueilli si froidement à l'époque de sa sortie...
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